Pourquoi nous battons nous ?

8 février 2017 par - Weblog

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« Si ce n’est pour la culture, pourquoi nous battons-nous alors ? »

Cette phrase attribuée à Winston Churchill en réponse à une personne qui lui proposait de couper dans le budget de la culture pour financer l’effort de guerre est celle que nous avons voulu mettre en évidence pour nos vœux en cette nouvelle année.

Cette phrase a la force de l’évidence pour  celles et  ceux qui ont décidé de consacrer leur vie à leur passion artistique,  leur désir de raconter des histoires, de faire réfléchir leur prochain ou de faire rire.

La culture, ce ne sont pas des chiffres que l’on aligne ou des études ou des statistiques qu’on accumule pour montrer qu’on est plus fort, plus gros que les autres à la manière des cénacles bruxellois.

C’est un regard sur le monde, une réflexion en partage, une émotion qui s’exprime. C’est du sens  donné aux activités humaines et une contribution jamais démentie au vivre-ensemble et à notre identité.

Cette déclaration de Churchill, volontariste et qui traduit une conscience aiguë du rôle essentiel de la culture dans nos sociétés, a été prononcée il y a plus de 70 ans, dans une période que nous espérons ne jamais devoir revivre. Elle est pourtant d’une actualité brûlante. C’est pourquoi elle nous suivra tout au long de l’année, pour rendre hommage aux créateurs mais aussi parce qu’elle exprime parfaitement notre état d’esprit dans une année politique importante qui verra se succéder des élections présidentielle et législatives.

C’est notre responsabilité, notre mandat et notre engagement au quotidien que d’écouter vos préoccupations, de comprendre vos problèmes et de les traduire en termes politiques.

Défendre le droit d’auteur, les intérêts des auteurs, de la création et de la diversité culturelle, c’est un combat de tous les jours, difficile, âpre mais évidemment indispensable car il faudrait être bien naïf pour imaginer que tout s’acquiert spontanément.

Ce combat est d’autant plus nécessaire que la politique culturelle de notre pays se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et doit faire face à des enjeux forts.

Ils ont pour noms numérique, Europe, soutien à la création contemporaine, défense de la langue française, financement… La liste n’est pas exhaustive mais elle souligne à la fois les défis qui sont à relever et aussi les carences, les insuffisances et parfois même les archaïsmes qui pourraient nous mener dans une impasse et affaiblir un des atouts majeurs de notre pays.

Reconnaissons-le, il n’y a sans doute pas d’autres Etat dans le monde qui ait su défendre une ambition aussi élevée dans le soutien et la promotion de la culture et se donner les moyens de faire vivre la diversité culturelle.

On peut être un militant convaincu de la politique culturelle et voir en même temps les signes de fatigue et d’essoufflement qu’elle montre.

Sans tomber dans un pessimisme inutile et paralysant, il faut mesurer les menaces de dérégulations en provenance de l’Europe, les risques de désengagement budgétaire de l’État et surtout des collectivités locales.

Il ne faut pas avoir d’œillères au sujet de la révolution numérique dont nous profitons tous chaque jour mais qui pourrait aussi fragiliser les politiques en faveur de la culture.

Il ne faut pas non plus refuser de voir le conservatisme, la frilosité et parfois même le corporatisme de certaines professions ou organisations professionnelles qui nous font collectivement beaucoup de mal ,car ils sont antinomiques avec l'objectif le plus noble et malheureusement le plus lointain celui de la démocratie culturelle.

C’est la conscience de ces faiblesses qui constitue un moteur pour agir car il est encore temps.

Encore le temps de mobiliser pour redonner de l’équilibre à notre politique culturelle ; encore le temps de moderniser les politiques sectorielles.

C’est un fait, l'action publique  s’est déséquilibrée ces dernières années : elle est devenue une politique des industries culturelles, oubliant qu’elle devait d’abord être une politique des auteurs porteurs d'un regard sur le monde.

Cela ne signifie pas que nous n’ayons rien pu obtenir en faveur des auteurs dans le cadre des actions politiques que nous avons engagées : les avancées sociales telles la régularisation récente des cotisations prescrites à l’assurance-vieillesse, l’inscription dans la loi d’une obligation d’exploitation suivie des œuvres audiovisuelles et cinématographiques par les producteurs ou encore la mise en œuvre prochaine d’obligations de programmation d’œuvres contemporaines d’expression française dans les établissements labellisés pour le spectacle vivant en sont quelques illustrations.

Si le travail de conviction auprès des décideurs publics s’est avéré efficace, il n’en reste pas moins que le prisme général dominant est devenu progressivement celui de la préservation des outils économiques de la culture et parfois même de la préservation des rentes.

Dans le domaine de la création télévisuelle , il n'est pas de jour sans que les intérêts particuliers l'emportent sur l'intérêt général, sans que le catégoriel invente des règles ubuesques et indéchiffrables sous le regard absent des pouvoirs publics qui ont abdiqué leur responsabilité et l'obligation d'assurer la transparence de toutes les discussions dont il leur est ensuite demandé de consigner les résultats dans la réglementation.

L’exclusion des auteurs des négociations entre diffuseurs et producteurs pour définir le cadre des obligations d’investissements et de diffusion dans la création audiovisuelle  exprime cette dérive d’une réglementation centrée vers la protection d’une profession certes estimable , les producteurs dits indépendants mais surprotégée au détriment de la règle économique élémentaire qui veut que la propriété d'un investissement revient à celui qui l'a effectué.

De même trop  souvent dans le spectacle vivant les discussions  s’organisent autour d’un face à face entre directeurs-employeurs et salariés-intermittents et ignorent le point de vue des créateurs.

Le prix de ce parti pris politique, c’est une forme d’hémiplégie et la consécration d’un oubli, la dimension éminemment culturelle de la culture ! « Le cinéma est un art, et par ailleurs une industrie » disait Malraux. Nous courons le risque que, demain, plus encore qu’aujourd’hui, la création ne soit plus qu’une industrie.

À rebours de cette logique, il faut continuer à défendre l’idée selon laquelle le créateur ne saurait être un auxiliaire de la création. Il en est même le cœur, le cœur battant et ardent des œuvres. C’est notre conviction, notre démarche, mais il faudra aussi que la future Présidence de la République porte cette exigence.

L’Europe numérique doit aussi être l’Europe de la culture

L’autre grand enjeu présidentiel sera de donner un cadre, une ambition et une empreinte culturelle à cette révolution numérique.

La France peut être l’architecte de cet avenir, pour faire de la culture un nouveau pilier de l’Europe.

N’oublions pas que c’est grâce à la détermination du Président de la République François Hollande  de son gouvernement et au vote du Parlement européen que nous avons échappé à la volonté de la Commission Européenne d’inclure les activités audiovisuelles dans le périmètre de la négociation commerciale transatlantique.

Ce pilier suppose d’avoir la capacité de construire les nouveaux contours de la diversité culturelle, d’une diversité culturelle 2.0.

L’urgence est là : l’Europe ne peut être un territoire où le développement du numérique et d’Internet se traduit par un accroissement de la concurrence déloyale.

Les règles européennes actuelles offrent l’opportunité aux géants américains du Net de pouvoir s’établir là où les règles sont les moins exigeantes, que ce soit en matière fiscale ou dans le respect des obligations à l’égard de la création.

Et le successeur de Steve Jobs Tim Cook qui planque des milliards de dollars aux iles Vierges peut se pavaner à Paris en prétendant "qu'il a toujours voulu payer un impôt juste".

Cette faillite européenne fragilise les chaînes de télévision et opérateurs de vidéo à la demande français et européens qui ont du mal à soutenir une compétition de la part d’acteurs disposant de moyens considérables et qui ne se soumettent pas aux mêmes exigences fiscales et culturelles. Elle promeut de ce fait un modèle de moins-disant culturel, mortifère pour la création et la culture européenne mais aussi pour l’idée européenne.

Soutenir la création et les créateurs européens ne devrait jamais être vécu comme une punition ou une contrainte.

Finalement, la démarche juste, utile et adéquate serait à la fois de remettre les auteurs au cœur de la politique culturelle en France et de défendre en Europe une ambition pour la culture à l’heure du numérique.

Ce serait l la seule manière pour le-la président-e élu-e de répondre aux attentes des créateurs… et à Churchill ! ●

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Commentaires (2)

 

  1. temps dit :

    Bonjour,
    Une société n’étant composée que d’hommes, c’est dans l’air du temps.
    Nous ne sommes plus qu’un amas de viande froide, parfois de viande chaude sur lequel quelques organes sont négociables.
    Les croyances sont nommées sciences, et aux noms de ces nouvelles religions chacun essaie d’imposer.
    L’artiste est le dernier rempart de nos libertés, et possède quelque chose que nul ne peut voler.
    Cordialement

  2. YG dit :

    La fameuse citation n’est pas de Churchill– nul le sait qui l’a écrite donc on la lui attribue. Le grand homme aurait certes pu la prononcer, mais ce n’est pas le cas (de la même manière, Voltaire n’a jamais dit « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous pensez, mais je mourrais pour que vous ayez le droit de le dire’- c’est Evelyn Beatrice Hall qui l’a écrite, ds sa biographie de Voltaire, justement)

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