Quand la concurrence oublie la création

4 mars 2019 par - audiovisuel, économie numérique

(©)Les films Jacques Leitienne

Il y a quelque chose de la Pythie grecque chez l’Autorité de la Concurrence. C’est la conclusion à laquelle je suis rapidement arrivé  à la lecture du récent avis des "sages" de la Rue de l’Echelle sur la nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique.

L’ oracle était très attendu mais comme ceux rendus par la Pythie, qui pouvait en son temps être discréditée quand on l’accusait de prendre parti, celui-ci est loin de faire l’unanimité, tant la doxa ultra libérale qui lui a été soufflée à l’oreille colle mal avec les impératifs d’une politique culturelle un tant soit peu ambitieuse.

Sollicitée par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, l’Autorité de la Concurrence, en tant qu’autorité  indépendante,  aurait dû, avant de livrer ses réflexions et ses propositions, se livrer à une analyse objective, équilibrée, et écouter les uns et les autres.  Or, si le dialogue avec les chaînes de télévisions, les fournisseurs d’accès à Internet, les plateformes numériques et quelques représentants des plus importantes maisons de production de la place de Paris semble avoir été très fourni et approfondi, les représentants des auteurs et aussi des producteurs indépendants n’ont, eux, pas eu la chance de pouvoir être auditionnés.

L’observateur attentif ne peut alors que constater que la fréquentation assidue des diffuseurs a porté de beaux  fruits bien juteux et de magnifiques copiés-collés puisque dans la liste de courses que les chaînes égrènent depuis plusieurs années et parfois même des décennies pour les plus opiniâtres d’entre elles , chacun a pu retrouver ses petits dans l’avis de l’Autorité.

Tout n’est évidemment pas illégitime et incompréhensible dans les propositions formulées par l’Autorité pour doter le paysage audiovisuel de nouvelles règles qui ne soient pas les seules survivances du passé. Des règles comme celle des jours interdits de films à la télévision par exemple font partie d'un arsenal parfaitement suranné. Encore faut-il se rappeler que c'est en raison de querelles entre les diffuseurs que cette réglementation obsolète survit.

Mais, ce n'est pas du tout la même chose que  faire le  ménage et dévaster l’appartement sous prétexte que les nouveaux arrivants ne paient pas encore le même loyer.

Rappelons aussi par souci de charité chrétienne que c'est l'autorité de la concurrence qui a imposé à Canal plus certaines des contraintes qui l'ont affaibli face aux nouveaux entrants .

L’avis s’inscrit également mal dans les positions politiques défendues par les gouvernements français successifs pour intégrer les géants du Net à la politique de soutien à la création.

D’un côté, un nivellement par le bas qui tend à ratiociner la régulation, de l’autre, une volonté  de faire du numérique un espace de régulation et de concurrence loyale entre les acteurs du numériques et les groupes audiovisuels. La directive sur les services de médias audiovisuels, dans laquelle la France a obtenu à la fois la possibilité de soumettre les nouveaux services à des obligations d’investissement et l’introduction d’un quota minimum d’œuvres européennes sur les plateformes partout en Europe, en est une excellente illustration.

Au final, cet avis résume la distinction qui continuera à exister entre une autorité qui veille à l’équilibre de systèmes concurrentiels et des pouvoirs publics et politiques qui ont toujours eu à cœur de rappeler que le cap de la politique audiovisuelle, c’est d'abord une politique de soutien à la création et à la diversité culturelle.

Là est la voie de la sagesse .

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