L’obésité n’est pas une vertu et la fusion Radio France/FTV une très mauvaise idée

27 juin 2022 par - audiovisuel

    © filmcoopi,,Versus production

Après les fusions-acquisitions et les fusions-absorptions qui animent régulièrement la vie des sociétés mondiales, les fusions de service public !

L’ambition est plus modeste, la résonance moins internationale, mais le serpent de mer du regroupement de France Télévisions et de Radio France au sein d’une même entreprise vient de refaire surface.

Certains sénateurs, dans un rapport récent, ont repris cette idée à leur compte, idée qui parcourt aussi les cercles du pouvoir tentés d’échanger un engagement pluriannuel de financement du service public contre la mise en place d’une BBC à la française, nom plus avenant qu’une ORTF faisant l'objet d'un "relooking extrême".

Les tenants de cette logique centripète ont un objectif louable : Rassembler les moyens pour être plus puissant sur le numérique !

Malheureusement, le chemin de l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions.

D’une part, la création d’une entreprise unique réunissant France TV et Radio France n’interviendrait pas dans le bon tempo à l’heure où l’avenir du financement du service public est assombri par les promesses électoralistes décidées sur un coin de table un soir de meeting électoral par le président de la République.

Quel sens y a-t-il à proposer ce grand mécano industriel que représenterait la constitution d’une entreprise unique quand on ne sait ni comment l’audiovisuel public sera financé ni à quel niveau ni avec quelle visibilité ?

L’Etat s’est souvent montré très mauvais actionnaire, fréquemment incapable de tenir les engagements pris dans les contrats d’objectifs et de moyens mais la situation actuelle dépasse toutes les bornes et peut légitimement nourrir de fortes inquiétudes.

Tous les rapports parlementaires (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b0274-tiii_rapport-avis# ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4597-tiii_rapport-avis#_Toc256000028 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b0274-tiii_rapport-avis#) rendus ces dernières années ne s’y étaient pas trompés et avaient martelé à l’unisson deux principes essentiels : il y a urgence à réformer la redevance pour moderniser son assiette et garantir le maintien d’une ressource affectée et dédiée au service public ; il faut refuser toute budgétisation pour éviter de remettre en cause l’indépendance de l’audiovisuel public.

Le président de la République dans la solitude d'un pouvoir à l'époque absolu a décidé avant peut-être que le Parlement  ne rectifie le tir, l’exact opposé : on ne réforme pas mais on supprime ; on met fin à la ressource affectée pour préférer une budgétisation qui n’offre aucune garantie de pérennité. On fait surtout semblant de s'intéresser au pouvoir d'achat des français les plus modestes sauf que ceux ci ne verront pas la couleur de la mesure soit disant prise en leur faveur puisqu' ils sont exonérés du paiement de la contribution à l'audiovisuel public.

Dans ce contexte, proposer une révolution organisationnelle, sans même avoir de perspectives sur le financement équivaut à mettre la charrue avant les bœufs.

Mais, pire encore, le labour promis risque de déboucher sur une récolte famélique. Les gains attendus risquent de ne pas être au rendez-vous. Au lieu des économies espérés, une telle opération industrielle sera socialement compliquée à mener, générera des coûts importants, mobilisera intégralement les équipes sur les nouvelles configurations managériales à mettre en place et stoppera bien des projets engagés car les nouveaux responsables  voudront imprimer leur marque et tout rebâtir depuis zéro. La promesse initiale a toutes les chances de se transformer en temps perdu, en projets abandonnés, en luttes de pouvoir intestines sclérosantes pour l’entreprise alors même que le paysage audiovisuel et radiophonique va continuer à se transformer à grande vitesse.

Comme l'explique brillamment Sibyle Veil dans une interview au Figaro :"Radio France et France Télévision n'ont pas du tout les mêmes enjeux stratégiques. Ce sont deux marchés différents, des usages différents. Nos modèles de production ne coïncident pas : la radio est un média sobre qui produit tous ses contenus en interne, France Télévision achète une grande partie de ses programmes à l'extérieur. Ce n'est pas Radio France qui va aider France télévisions à résister à Netflix ni France Télévisions qui nous aiderait face à Spotify."

Le temps des synergies, nécessaires et qui peuvent être approfondies, peut se passer d’une opération industrielle de fusion.

D’ailleurs, le rapprochement souvent évoqué entre Canal+ et Europe 1 ne prévoit pas la construction d’une entreprise unique.

Et le projet de fusion entre TF1 et M6 n’a pas prévu d’y intégrer RTL qui appartient pourtant au même propriétaire. Les géants du numérique, les Netflix, Spotify, Deezer évoluent également chacun dans leur couloir, soit celui de la vidéo à la demande, soit celui de l’écoute en ligne. Et au sein de la BBC les plateformes audio et vidéo sont clairement dissociées.

Vouloir la convergence organisationnelle à tout prix revient à refuser de comprendre que les univers de la radio et de la télévision, du son et des images, reposent sur des marchés différents, des logiques d’usage qui ne se recoupent pas, des économies qui ne sont pas les mêmes. La transformation numérique est une évidence dont France Télévisions comme Radio France se sont déjà saisis.

Mais, la construction d’un conglomérat obèse n’apportera pas l’agilité requise pour agir dans le monde numérique, pas plus qu’elle ne favorisera le développement des synergies qui peuvent déjà se nouer.

Il faudrait enfin faire attention à ce que le service public de demain ne suive pas le chemin de la grenouille dans la fable de La Fontaine qui voulait se voir aussi grosse que le bœuf : « La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. »

 

Commentaires (1)

 

  1. Ansermet dit :

    Ce post anticipe ce que nous, avons vécu en Suisse avec la fusion Radio Télévision qui se résume à un blocage total des entreprise pendant près de 5 ans et une focalisation absolue sur la (dés)organisation managériale. Il n’y a absolument rien de bon à attendre d’une usine à gaz qui regroupe des médias si différent. A part la radio filmée. C’est dire…

Laisser un commentaire