La rivière sans retour et sans Marilyn Monroe

21 juillet 2022 par - Weblog

©20th Century Fox

Deux informations importantes se télescopent aujourd’hui : d’une part, les chiffres de Médiamétrie soulignent la domination de Radio France dans le paysage radiophonique avec un succès qui ne se dément pas et ne cesse de s’amplifier ; d’autre part, les députés s’apprêtent à examiner le projet de loi de finances rectificative qui prévoit  la suppression de la redevance audiovisuelle et le financement de l’audiovisuel public par  le budget de l’Etat .

 

Dans cet épisode malheureusement digne d’Ubu où les arguments les plus cyniques côtoient les justifications les plus déraisonnables, l’audiovisuel public risque bien d’être la victime d’une promesse faite par le candidat-président un soir de Mars à Poissy lors de son premier meeting de campagne.

 

On peut d’ailleurs se demander à quoi servirait donc une telle suppression de la redevance dès 2022.

A renforcer le pouvoir d’achat des Français ? Dans son édito de 20 juillet, Le Monde tord cruellement et justement le cou à ce qui devient un élément de langage commun et pratique mais faux : « cela relève de la démagogie et de la tromperie.

De deux choses l’une : soit les 3,85 milliards d’euros versés chaque année à l’audiovisuel public (3,2 milliards par la redevance et 650 millions par le budget de l’Etat) sont garantis et le contribuable continuera de les payer, soit ce budget fondra et la promesse de pérennisation n’est qu’un leurre. » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/20/suppression-de-la-redevance-un-risque-de-regression-democratique_6135514_3232.html ).

 

La mission confiée à l’inspection générale des Finances et à celle des Affaires Culturelles (https://www.igf.finances.gouv.fr/files/live/sites/igf/files/contributed/IGF%20internet/2.RapportsPublics/2022/2021-M-071-03_Rapport_CAP_public.pdf)  par le Premier Ministre, Jean Castex, et bizarrement modifiée et tronquée en cours de route pour mieux coller aux annonces du candidat-président, n’en est pas moins cruelle pour un pouvoir qui semble aujourd’hui pratiquer ou la navigation à vue ou la godille sur la question de l’avenir de l’audiovisuel public qui mérite décidément mieux.

Outre le rappel que cette suppression de la redevance aboutirait à priver l’Etat de plus de 3 milliards d’€ de recettes (alors que dans le même temps, Bruno Le Maire explique que la cote d’alerte des finances publiques est atteinte !), les membres des Inspections dressent le menu exhaustif de tous les inconvénients et dangers d’un financement direct de l’audiovisuel public à partir du budget de l’Etat :

- un risque de volatilité des financements

- une incitation forte à augmenter la publicité sur le service public

-  un risque de diminution des ressources, comme tous les pays qui ont fait le choix de supprimer leur redevance pour y substituer un financement budgétaire

- le risque d’être perçu comme un média d’Etat, soit au même niveau qu’une chaîne publique polonaise ou hongroise

- un risque d’atteinte à l’indépendance éditoriale.

 

La coupe est pleine ? Pas tout à fait car les Inspections rappellent aussi avec gourmandise qu’il n’y a pire actionnaire que l’Etat dans la gestion des affaires d’une entreprise.

Dans ces conditions, s’en remettre à la parole de l’Etat pour garantir un niveau ambitieux de ressources pour le service public constitue au mieux de la naïveté, au pire, de la folie pure.

Et enfin, cerise sur le gâteau, le remplacement de la redevance par la budgétisation pourrait même être inconstitutionnel, en cela qu’il remettrait en cause le pluralisme et l’indépendance des médias.

On peut sans doute être fier d’être des amateurs dans la vie dans certaines occasions, et dans le théâtre, on en connait d’excellents, mais un minimum de rigueur et de sérieux ne saurait nuire dans la conception des politiques publiques.

Bons princes, les inspecteurs formulent une proposition transitoire consistant à prélever une fraction des recettes issues de la TVA pour les affecter au financement de l’audiovisuel public, le temps que des garanties sérieuses soient adoptées par le Parlement pour rendre possible : la création d’une commission indépendante chargée de mesurer les besoins de financement ; l’exemption de l’audiovisuel public de mesures de régulations en cours d’année ; renforcer la pluriannualité du financement des entreprises publiques.

Reprise à la volée par le Gouvernement et la majorité pour se sortir d’une ornière inconfortable, la mesure, quoique moins dévastatrice que la budgétisation stricte, n’en est pas pour autant exempte de défauts.

Remplacer une taxe supposément injuste par la fraction de l’impôt le plus injuste qui soit, la TVA, n’est évidemment pas le moindre d’entre eux mais surtout, n’oublions pas que cette alternative ne serait qu’une mesure temporaire, courant au mieux jusqu’en 2025.

Après cette date, nous reviendrions sans doute à la même problématique qu’aujourd’hui, avec une nuance de taille : la disparition de la redevance aujourd’hui rendrait quasiment impossible le retour demain d’une contribution universelle, plus juste socialement, et plus dynamique. En bref, c’est la rivière sans retour et sans Marilyn Monroe !

Entre sauver le financement de l’audiovisuel public et sauver, envers et contre tout, une mesure électorale et électoraliste, il faut espérer que le camp de la responsabilité saura triompher et adopter la seule attitude qui vaille : le report d’une réforme ni faite ni à faire et le lancement d’une véritable concertation associant les professionnels et les parlementaires pour aboutir à une réforme plus juste plus consensuelle d’un instrument essentiel au financement de l’audiovisuel public soutien de la création française et garant de l'honnêteté de l'information.

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