Vertiges

15 mai 2019 par - Cinéma, économie numérique

Avec l’ouverture du Festival de Cannes, voici à nouveau venu le temps des tribunes, des interpellations publiques, des communiqués, des débats, des rapports…

Mais, attention à ne pas transformer les discussions  nécessaires en polémiques inutiles et autres guerres picrocholines dont le cinéma français est coutumier.

Les récentes interventions autour de la trop grande quantité du nombre de films produits ou de la supériorité de la création cinématographique sur la création audiovisuelle   portent en elles un fort potentiel d’exacerbation des égos  et nourrissent le feu ardent des querelles et des oppositions stériles.

 

Le cinéma a encore moins que jamais  besoin de ces bisbilles dans un contexte de mutations et de transition numérique qui n’épargne rien ni personne mais qui peut aussi être une source d’opportunités pour mieux financer les films, améliorer la transparence et leur garantir une visibilité renforcée .

Dans ces conditions, la question essentielle et urgente, qui se posent aux pouvoirs publics comme aux professionnels, est bien celle de savoir comment garantir un avenir pour le cinéma à l’heure des plateformes.

Ce sera aussi « hasard ou coïncidence » le thème du débat de la SACD  que j’animerai  dimanche 19 mai sur la plage du CNC où  il se passe décidément toujours quelque chose.

Sans préempter les échanges, l’avenir du cinéma –et globalement de la création audiovisuelle et cinématographique a besoin de reposer sur 4 piliers solides : un CNC consolidé ; un service public de l’audiovisuel, fer de lance de la création ; un environnement propice à l’intégration des plateformes numériques et à la pérennité des obligations dans la création ; un droit d’auteur, patrimonial et moral, pleinement respecté.

 

Ceux qui s’évertuent à porter des critiques sur le CNC, sur son organisation, sa gouvernance, sur les réformes récentes qu’il a portées devraient se rappeler que sans le CNC, le cinéma français, et la politique qu’il met en œuvre à la demande des responsables politiques , serait sans doute un modèle moins envié de par le monde.

Pas une réforme mise en œuvre n’a été adoptée sans de longues (parfois trop même) concertations. Pas une réforme n’a eu pour conséquence de réduire le soutien apporté au cinéma ces derniers temps, alors que l’évolution des ressources du Centre a nécessité de faire des choix budgétaires plus stricts concernant l’audiovisuel.

La politique du cinéma que porte le CNC, doit nécessairement résonner aussi auprès du service public de l’audiovisuel.

France Télévisions, qui doit se faire fort de respecter le droit des auteurs, est aussi – et doit le rester - un pôle de stabilité et de développement de la création française dans toute sa diversité et de la visibilité des œuvres .

Le service public a aussi  un rôle majeur à jouer dans la défense de la langue française et l’exposition de notre si riche patrimoine cinématographique.

Ces  exigences  impliquent un financement pérenne du service public qui doit  veiller à ce que son engagement ne soit pas seulement celui des montants investis  mais impérativement s’accompagner d’une bonne exposition des œuvres en numérique comme en linéaire.

L’abandon programmé de France 4 est à cet égard incompréhensible, alors que les usages linéaires n’ont pas encore disparu. Il aurait des conséquences graves sur la diffusion de l’animation mais aussi du cinéma. France 4, c’est plus de 30% de l’offre de cinéma du service public !

Les plateformes, qui nourrissent aujourd’hui tous les fantasmes , doivent être intégrées à l’écosystème français de la création.

Il faut en 2020 mettre un terme à ces assymétries fiscales qui aboutissent à ce que les plateformes de VàD sont  assujetties à une taxe CNC de 2% pendant que Canal+et les chaînes en clair  doivent verser 5,5% de leur chiffre d’affaires.

C’est aussi la directive sur les services de médias audiovisuels qui doit être transposée rapidement pour faire prévaloir une plus grande équité dans les obligations d’investissement et de diffusion entre les télévisions et les plateformes en appliquant la règle de la création la plus favorisée et non le nivellement par le bas réclamé par les opérateurs commerciaux.

L’environnement économique, financier, réglementaire doit être reconstruit pour inciter les opérateurs et les investisseurs privés à être des nouveaux partenaires de la création cinématographique, en  gommant  les vieilleries de notre réglementation (jours interdits…), en revisitant  des règles d’une chronologie des médias déjà obsolète et inadaptée, et renforçant les règles de transparence afin de créer un climat de confiance.

Sur ce point les propositions du rapport Dominique Boutonnat animeront sans doute  bien des conversations sur la Croisette.

Et puis il faudra bien en terminer avec cette fatalité qui ne laisse le choix aux oeuvres européennes qu’entre des distributions segmentées sur les marché nationaux ou une exposition sur les plateformes américaines qui renforce leur domination.

Enfin, l’intégration des plateformes dans notre univers n’est pas à sens unique .

Il y a au cœur de notre système un  invariant qui apporte justice et efficacité  dont il faut assurer la permanence et le respect à l’égard de tous.

C’est le droit d’auteur évidemment dans ses deux dimensions : les droits patrimoniaux dont l‘auteur doit pouvoir jouir paisiblement et non « accepter », dans des rapports forcément déséquilibrés, de se dépouiller pour l’univers et l’éternité ; le droit moral qui ne peut être cédé (même à la SACD), qui doit être respecté pour garantir l’intégrité des œuvres et les prérogatives des auteurs, avec notamment le commun accord sur la version définitive de l’oeuvre .

A l’occasion du déjeuner offert aux représentants des « industries culturelles » Emmanuel Macron a clairement indiqué que les auteurs étaient au cœur de sa politique.

Des paroles qui ont été précédées par des actes forts car sans l’action volontariste et déterminée de la France jamais les auteurs européens n’auraient acquis des droits personnels nouveaux dans la directive récemment adoptée.

Le respect du droit d’auteur et surtout des droits des auteurs est un impératif catégorique  pour maintenir la diversité et la vitalité de la création. Sur ce point aucune compromission n’est acceptable.

S’adapter sans se renier : cette posture agile à l’heure du numérique  sera-t-elle aussi la règle de vie du festivalier cannois ? Réponse dans 15 jours !

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Commentaires (1)

 

  1. Sepulchre Jean dit :

    Excellente analyse. Les enjeux sont bien posés. Merci.

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