Le cinéma menacé de relégation

2 mars 2020 par - Cinéma

©Gaumont

Les meilleures blagues sont souvent les plus courtes.

Il peut en être de même pour les négociations, si l’on en juge par le résultat du marathon qu’avait engagé  France Télévisions avec les organisations professionnelles du cinéma depuis près de 10 ans.

Le score est sans appel. Delphine Ernotte qui sait ( je peux personnellement en témoigner) manier le tableur excel et ses équipes peuvent s’enorgueillir d’avoir obtenu un vrai succès et, enfin, la possibilité grâce à la signature de l'ARP et du Bloc mais non du Blic de diffuser en télévision de rattrapage pendant 7 jours les films coproduits par le service public.

C’est la fin d’une véritable anomalie qui faisait du cinéma le seul genre d’œuvres et de programmes que le service public ne pouvait rendre accessible sur france.tv. Il y a donc au moins un point positif pour le cinéma avec la fin de cette bizarrerie préhistorique qui pouvait être très pénalisante pour les cinéastes dont l’œuvre lorsqu'elle était confrontée à des programmes de forte audience sur une autre chaîne  n’avait aucune possibilité d'être regardée par un plus large public.

Situation d'autant plus dommageable pour le cinéma que la fiction télévisuelle et le documentaire bénéficient fortement de cette élargissement et modernisation  de leur exposition.

En revanche, on peut lire et relire l’accord : l’équipe des organisations professionnelles, en tout cas de ceux qui ont signé l’accord, l’ARP et le BLOC, n’a pas trouvé le chemin du but et a même marqué contre son camp.

Ce n’est malheureusement pas la première fois puisque en 2018, les mêmes professionnels avaient fait une concession inédite à Canal+ en acceptant un plafond maximum d’investissement dans le cinéma !

Cette fois-ci, pas de baisse de l’engagement de France Télévisions dans le cinéma qui sera de 60 millions d’€. Ouf !!!  C’est évidemment important mais ce n’est ni une nouveauté ni une victoire qui justifieraient des cocoricos déplacés. C’est déjà ce qu’investissait chaque année France Télévisions .

Franck Riester, le ministre de la Culture qui a son mot à dire en la matière, avait déjà confirmé le maintien d’un tel niveau d’investissement par le service public. Il s'y était déjà engagé  lors des rencontres cinématographiques de Dijon :"L’audiovisuel public, en particulier, est essentiel au financement du cinéma. Et il le restera. L’effort de transformation que nous lui demandons n’affectera aucunement ses obligations de financement de la création. Bien au contraire : cette priorité sera réaffirmée."

La concession de taille se niche ailleurs dans l’accord et elle risque de pénaliser autant les cinéastes dont les rémunérations liées aux diffusions diminueront que la place du cinéma sur le service public. La purge que va connaître la diffusion des œuvres est sans précédent. De 415 films diffusés en 2015, le nouvel accord prévoit que les chaînes du service public n’en diffuseront plus que 250 ! Avec cette baisse de 40%, ce sont 165 films qui seront rayés de la carte des programmes de France Télévisions.

Certes, relativiseront certains "ravis de la crèche", 50 films connaîtront une nouvelle vie sur le non-linéaire. Il n’en reste pas moins que  la baisse globale sera de 30%, la disparition de France 4, qui était la principale antenne de diffusion du cinéma, aboutissant  à une forte évaporation des films.

C'est triste pour tous les français qui aiment le cinéma et financièrement pénalisant pour les cinéastes qui perdent une fenêtre d'exposition de leurs œuvres .C'est très mauvais pour l'ensemble des acteurs économiques, producteurs et distributeurs, notamment les indépendants qui perdent un important débouché.

Il y a là un paradoxe à accepter aussi facilement un tel recul du cinéma sur le service public qui y sera moins présent et moins visible, et vis à vis duquel d’ailleurs aucune garantie n’a apparemment été négociée pour éviter des destockages, plus ou moins sauvages, des films et des programmations très nocturnes.

Paradoxe car la France, avec le soutien de tous ses professionnels et créateurs s’est battue à juste titre il y a quelques mois pour imposer des quotas minimum d’exposition sur les plateformes de vidéo à la demande, au nom d’une logique simple : la visibilité des œuvres européennes aujourd’hui est la garantie de leur financement demain.

Paradoxe aussi car le service public est l’espace idéal et assez unique pour accueillir la diversité du cinéma, la prise de risque, l’ouverture sur d’autres cinématographies ou encore la promotion du patrimoine cinématographique, aujourd’hui dangereusement délaissée.

Paradoxe enfin car la quasi suppression des jours interdits de films à la télévision décidée par le gouvernement a pour objet d'améliorer l'offre de cinéma par les télévisions.

Il est consternant que les analyses du CSA pourtant fort bien documentées soient à ce point ignorées.

Car dans son récent avis sur le bilan de  Delphine Ernotte présidente de France Télévisions l'autorité de régulation affirmait : "Le Conseil souligne, par ailleurs, que les œuvres de cinéma restent insuffisamment mises en valeur sur les antennes linéaires du groupe, alors même qu’elles représentent un investissement financier significatif."

Vraiment dommage que l'occasion n'ait pas été saisie pour obtenir plus de diversité dans la programmation des films et une exposition plus audacieuse des films récents mais aussi de notre incomparable patrimoine cinématographique.

Enfin ceux qui à longueur de journée réclament et ils n'ont pas tort le respect du droit moral par les services de VàD auraient du exiger que la diffusion non linéaire des films soient effectuée sans interruption publicitaire car c'est le moins que l'on puisse demander à un  service public dont le mode de financement l'apparente à un service payant et qui se doit de respecter l'intégrité des œuvres .

A l’heure où le Parlement va se pencher, dans le projet de loi sur l’audiovisuel, sur la refondation des missions du service public, laisser penser que la diffusion des films ne serait plus essentielle à la politique de l’audiovisuel public, dès lors que les préfinancements seraient maintenus, ne parait ni très sérieux ni très ambitieux et méritera d'être corrigé.

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