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16 décembre 2019 par - audiovisuel, Cinéma

©Metropolitan Filmexport

Personne ne sait encore si la trêve des confiseurs aura raison des grèves, mais le mouvement social en cours pourrait d’ores et déjà entrainer une conséquence indirecte mais fâcheuse : un nouveau report de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel au Parlement.

Initialement programmé dans la seconde quinzaine de février à l’Assemblée nationale, il pourrait faire les frais des débats, sans doute passionnés, qui agiteront la représentation nationale en ce début d’année sur l’avenir de notre système de retraite.

Un report pouvant en cacher un autre, la tenue des élections municipales en mars pourrait repousser un peu plus encore le début des débats sur notre paysage audiovisuel.

Avec le nouveau calendrier qui pourrait se dessiner, ce sont les engagements européens de la France qui prendraient un  mauvais coup.

Faute de transposition de la directive SMA au 19 septembre 2020, la France se retrouverait en infraction et pourrait être poursuivie à ce titre.

Cruelle et paradoxale situation pour un pays qui a été à la pointe du combat en vue de moderniser cette directive et donner enfin aux Etats les outils d'intégration des plateformes numériques dans les systèmes de soutien à la création .

Conséquences très fâcheuses alors que les plateformes américaines encore déréglementées ne cessent de conquérir des abonnés.

Nul doute que Franck Riester qui a toujours fait de la modernisation et de l’adaptation de notre politique audiovisuelle aux enjeux du numérique une priorité de son action veillera au grain pour éviter un report à des calendes grecques ou à la Saint-Glinglin.

Aux menaces sur le calendrier, s’ajoutent déjà d’autres mobilisations pour gommer d’un trait de plume les avancées de ce texte en faveur des auteurs.

L’encre du projet de loi n’aura en effet pas eu le temps de sécher après son adoption par le Conseil des ministres le 5 décembre que certains vieux habitués, porte-paroles de l'ancien monde ont commencé à arpenter assidument les couloirs du Palais-Bourbon pour dire tout le mal qu’ils pensaient des quelques mesures protectrices des droits des auteurs.

Donner aux auteurs la possibilité d’être associés aux négociations professionnelles sur les points qui les concernent ?

« Mais, vous n’y pensez pas, on discutait très bien sans eux ! et ils sont irresponsables » ;

Ne plus donner accès aux aides du CNC pour les œuvres qui ne respecteraient pas le droit d’auteur à la française ?

« Mais, c’est notre argent, on fait ce qu’on veut ! » ;

Ne plus comptabiliser dans les obligations d’investissement des chaînes et des plateformes les œuvres qui s’assoient sur le droit moral des auteurs et leur droit à rémunération proportionnelle ?

« Mais, dans la mondialisation, difficile de faire respecter les règles françaises ! » ;

Transposer, comme prévu par la directive droit d’auteur, le droit pour un auteur d’obtenir une rémunération supplémentaire quand il a été lésé ?

« Faisons comme si la directive n’existait pas et oublions ce nouveau droit en le boutant hors du territoire français » !

On n’aurait pu rêver meilleurs exemples pour illustrer le mépris qui s’exerce en France à l’égard des droits des auteurs de la part de ceux qui nous inondent  matin, midi et soir d’appels à la mobilisation générale pour défendre le modèle français, l’exception culturelle et la souveraineté à l’ère numérique et qui oublient dès que leurs intérêts commerciaux sont en jeu que le droit des auteurs doit être à la base de la politique de soutien à la création !

Ils gagneraient à relire avec l’attention de l’élève scrupuleux le rapport qu’avait rédigé l’an dernier Aurore Bergé, future rapporteure générale du projet de loi à l’Assemblée nationale et qui rappelait notamment cette évidence : « Sans la protection du droit d’auteur, c’est la création elle-même qui serait menacée », tout en appelant à la mise en place d’une alliance entre les acteurs français pour répondre aux défis du numérique.

Il va de soi que commencer par fouler aux pieds dans la semi-discrétion des auditions parlementaires les quelques avancées obtenues par les auteurs est une démarche assez incongrue, clairement pas à la hauteur de la situation et inquiétante pour l'avenir de nos entreprises audiovisuelles.

Remettre les auteurs au centre de la politique culturelle : c’était un axe fort du discours du président de la République à l’Elysée en mai dernier, que le ministre a su retranscrire dans le projet de loi.

Il est choquant  que tels des émigré de l'ancien régime n'ayant rien appris, quelques représentants d’industries culturelles,mais manifestement pas vraiment créatives, s’ingénient à vouloir passer par pertes et profits un tel engagement.

Alors que nous sommes tous dans le même bateau, créer de nouvelles solidarités autour de relations plus équilibrées et protectrices devrait être LA priorité plutôt que de vouloir prolonger l’existant avec des auteurs priés de rester dans les soutes.

Avoir aussi peu de prise en compte des enjeux pour les auteurs dans les négociations qui, in fine, définissent le cadre de notre système audiovisuel , aussi peu d’accords collectifs protégeant les auteurs, aussi peu d’encadrement des pratiques contractuelles pour organiser le développement et la création des projets, ce n’est plus tenable.

C’est aussi cela l’enjeu de ce texte et ce qui en justifie l’urgence.

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