Des vents contraires
22 septembre 2025 par Pascal Rogard - audiovisuel
D’ici peu, Christelle Morançais, la présidente de la région des Pays de Loire qui a sabré avec beaucoup d’allégresse, en début d’année, son budget pour la culture et la vie associative, pourra se targuer d’avoir lancé un mouvement d’ampleur nous faisant passer de la diversité culturelle à la régression culturelle.
Comme la France reléguée par l’agence Fitch en Ligue 2 des puissances financières, notre modèle culturel s’apprête à vivre des heures difficiles à la lueur des derniers arbitrages budgétaires.
Les indices s’accumulent malheureusement.
La lecture de l’interview de Gaëtan Bruel, président du CNC, dans Les Échos du 17 septembre ne nous a particulièrement pas rassurés : « Dans le dernier budget, le CNC a déjà contribué à travers une ponction de 500 millions d'euros sur son fonds de roulement. Cela correspondait, à 50 millions d'euros près, à l'argent que l'Etat avait consenti au secteur lors de la crise Covid. Si ce nouveau prélèvement de 50 millions d'euros était confirmé, cela ne serait plus de l'argent repris par l'Etat mais bien un témoignage direct de la solidarité du secteur aux finances publiques. »
En politique, avoir de la mémoire n’est pas un vilain défaut. Les amateurs de finances publiques se rappelleront donc que le prélèvement de 500 millions d’euros sur la trésorerie du CNC l’an dernier avait aussi été qualifié d’exceptionnel. Or, quand il se reproduit et s’installe au risque de devenir récurrent, il y a de quoi s’inquiéter.
Les deux premières victimes seront les capacités d’action et de financement du CNC en faveur de l’audiovisuel et cinéma et son autonomie budgétaire.
Pour faire à nouveau les poches d’un CNC vertueux afin d’alimenter le puits sans fond d’un Etat impécunieux, le projet de loi de finances pour 2026 n’hésiterait pas à se livrer à un détournement manifeste des taxes affectées versées par l’ensemble des entreprises contribuant au financement du CNC. Il oublierait au passage que ces taxes supportées par tous les acteurs du secteur y compris les auteurs n'ont pour seule légitimité que de participer au soutien à la création, à la production, à la distribution et à l’exploitation des œuvres et de contribuer à l’économie du secteur. Un détail, sans doute.
En organisant le transfert du produit de ces taxes, payées par les télévisions , les salles de cinéma, les plateformes, vers le budget général de l’Etat, ce prélèvement supplémentaire sur les ressources du CNC consacrerait une surfiscalité culturelle à la fois malhonnête et illégitime mais aussi dangereuse pour la pérennité du système de soutien à l’audiovisuel et au cinéma.
Car comment maintenir le consentement à payer des taxes affectées qui ne le seraient plus vraiment ?
On marche sur la tête !
De surcroît, la surfiscalité n’est pas le seul danger qui guette la création et le CNC pourrait ne pas être le seul à subir les errements de la politique budgétaire. Le sous-financement de l’audiovisuel public l’est tout autant !
Delphine Ernotte a raison de défendre avec vigueur le service public de l'audiovisuel face aux attaques de ceux qui relayant les voix de l'Amérique la plus réactionnaire se revendiquent du "free speech"
Si l’extrême droite, qui agonit les entreprises du service public d’attaques lamentables et les poursuit d’une vindicte populiste de bas étage, a imposé dans l’espace public la thématique du pluralisme de l’information, les responsables politiques ne devraient pas oublier que le service public, ce n’est pas uniquement un pôle d’information, aussi important soit-il.
Proposer la privatisation du service public, c'est tout simplement demander sa liquidation et également ruiner la télévision privée.
France Télévisions est aujourd’hui le premier financeur de la création audiovisuelle avec 440 millions € investis chaque année dans les oeuvres patrimoniales et 80 millions € dans le cinéma, c’est un maillon essentiel dans la rémunération des auteurs, c’est un vecteur central de la diffusion de la création française, c’est un pilier incontournable et un pôle de stabilité pour l’ensemble de la fiction et de l’animation françaises.
Personne ne contesterait que la survenue d’une crise grave chez Airbus provoquerait la fermeture de nombreuses entreprises sous-traitantes, des licenciements par milliers, des savoirs-faire et une expertise qui se perdent et une désindustrialisation dont notre pays paierait cher le prix. Alors, pourquoi les mêmes ne comprennent-ils pas que la crise du financement public de France Télévisions, par le rôle structurant qu’elle exerce, pourrait aussi produire des effets identiques dans la création française ?
En vérité, ce qui est en train de se jouer dépasse de loin le seul budget du CNC ou celui de France Télévisions. C’est l’architecture même de notre modèle culturel qui vacille. En sapant les mécanismes de solidarité, en dévoyant des taxes qui n’ont de sens que parce qu’elles nourrissent la création, en fragilisant les piliers publics qui irriguent l’ensemble de l’écosystème, l’État prend le risque d’un décrochage durable.
Le choix qui s’esquisse n’est pas technique, il est politique : voulons-nous préserver un système qui a fait la preuve de sa force, qui a permis à la France d’être une grande puissance culturelle mondiale, ou accepter une lente érosion qui nous conduira à la régression ?
Commentaires (3)
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Bonjour, je suis attaché aux institutions publiques – CNC, France télévisions – qui contribuent à l’écosystème de notre pays. Comme je suis attaché à la neutralité politique exigée quand on se met au service… du service public. Madame Delphine Ernotte semble avoir enfreint ce devoir moral- et légal- quand elle pointe du doigt Cnews comme chaîne d’extrême droite. Dans votre article, vous dites « Delphine Ernotte a raison de défendre avec vigueur le service public de l’audiovisuel face aux attaque de ceux qui relayant les voix de l’Amérique la plus réactionnaire se revendiquent du « free speech. Si l’extrême droite, qui agonit les entreprises du service public d’attaques lamentables et les poursuit d’une vindicte populiste de bas étage… ». C’est un point de vue subjectif et politisé. Un haut dirigeant de la SACD doit il l’exprimer ainsi, alors que les milliers de membres de la SACD, les représentants par qui il a été élu, peuvent être de tout bord politique et qu’il est censé les représenter ? N’y a t’il pas un devoir de réserve, tout de même? A votre décharge c’est un blog… mais sur le site de la SACD ! Cordialement, Jean de Loriol, sociétaire de la SACD. ( par ailleurs vous jugez les USA mais avez-vous l’état de délabrement de la France?)
Vous êtes libre de vous exprimer et moi de vous répondre en tout cas je l’espère. Je ne crois pas que mon point de vue soit politisé. Mon rôle est de défendre les autrices et les auteurs .
Je pense que les attaques contre le service public qui depuis quelque temps sont systématiques menacent gravement notre système de soutien à la création .Une privatisation du service public revendiquée par ceux qui critiquent la PDG de France télévision serait un désastre pour le monde de la culture et il est donc de mon devoir de ne pas rester silencieux.
Merci pour votre retour, que j’entends tout à fait. Cordialement Jean de Loriol