La grande famille du cinéma

26 janvier 2013 par - audiovisuel

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La sagesse est une vertu. Elle est aussi riche qu’elle fut rare au cours de ces dernières semaines. La trêve des confiseurs s’est à cet égard révélée très brève, laissant la place à une controverse publique née de la tribune du producteur-distributeur Vincent Maraval dans Le Monde : « Les acteurs français sont trop payés ! ».

Il faut avouer que tous les ingrédients de l’emballement médiatique étaient rassemblés : un producteur-vendeur connu sur la place de Paris qui livre à la vindicte populaire quelques noms d’acteurs célèbres aux poches apparemment trop pleines ; des cachets qui pourraient combler bien des espoirs des joueurs de loto ; des critiques en règle contre le financement du cinéma et de l’exception culturelle, très à la mode en ce moment ; un contexte marqué par l’exil fiscal de Gérard Depardieu.

Bref, tout était réuni pour que la sauce prenne. Et elle a pris. Les tribunes dans la presse se sont multipliées, les plumes, plus ou moins expertes, plus ou moins acérées, ont laissé libre cours à leurs inspirations, même si personne n'a vraiment enquêté pour savoir pourquoi le joueur de casino s'en prenait aux croupiers

Des cinéastes s’y sont livrés aussi, avec souvent beaucoup de pertinence et notamment ce rappel fort justifié et brillant de Philippe Lioret, honteusement mis en cause, dans Le Monde : « Non, Vincent Maraval, je ne suis ni un parvenu ni un assisté ».

Le CNC a aussi apporté son obole à cette campagne en organisant au théâtre éphémère dans le décor du "Malade imaginaire" et oui ça ne s'invente pas, des assises du cinéma.

Organisé autour de 3 thèmes les gros films, les moyens films, les petits films ces discussions m'ont remis en mémoire la très belle pièce de Slawomir Mrozek "En pleine mer " qui réunit trois naufragés affamés sur un radeau et nous apprend comment le gros et le moyen vont s'entendre pour dévorer le petit.

Que retenir de ce feuilleton ?

Bien évidemment, on pourrait y lire l’amertume et le dépit d’un investisseur dont les choix de distribution artistique n’ont pas rencontré les succès de fréquentation et de rentabilité espérés.

On pourrait également regretter l’amalgame douteux et largement erroné qui a été fait sur la comparaison entre les salaires et cachets de réalisateurs et d’acteurs français et américains, dans des films aux économies très différentes.

On pourrait enfin se lasser de cette posture binaire qui met face à face un supposé chevalier blanc au panache irréprochable et des défenseurs du système de financement du cinéma français mus par leurs propres intérêts.

A l’évidence, il en restera des traces, tant la presse s’est plu à donner une résonance particulière à ces querelles qui donnent une image désastreuse, celle de nantis, qui se gobergent d’argent public en ces temps de vache maigre, qui pratiquent un copinage éhonté et qui ne rechignent pas à pratiquer l’omerta pour mieux défendre leurs privilèges.

Nul doute que ceux qui, à Bruxelles, considèrent les politiques de soutien au cinéma comme des abominations surannées et des exceptions à abattre se sont délectés de tous ces échanges.

Nul doute également que les parlementaires français qui ont remis en cause ces derniers mois le CNC et son financement et dont certains n'ont pas encore digéré le renchérissement du crédit d’impôt en faveur du cinéma pourront gloser sur les aberrations de la politique du cinéma.

Le cinéma français mérite mieux

Le cinéma français mérite la vérité et des réformes.

La vérité car 2012 est loin d’avoir été un désastre pour le cinéma en général et pour le cinéma français en particulier. Avec 204 millions d’entrées, la fréquentation en salles reste haute et le cinéma français en a d’ailleurs profité puisque sa part de marché atteint 40,2%. 20 films français réalisent par ailleurs plus d’un million d’entrées en 2012, soit autant qu’en 2011. Des chiffres que nous envient tous nos voisins européens !

La vérité car le financement du cinéma n’est pas « un système qui profite à une minorité de parvenus ». Malgré ses imperfections, le système d’aide au cinéma reste profondément mutualiste et largement redistributif.

La vérité car les ressources dont bénéficie le CNC sont prélevées sur ceux qui diffusent les oeuvres  : taxe sur les billets en salle, sur les abonnements et la publicité des chaînes de télévision, sur les services de distribution de télévision, sur la vidéo et la vidéo à la demande.

S’y ajoutent également les mécanismes de financement par les obligations d’investissement des chaînes et ne concernent directement le budget de l'Etat que l’apport des SOFICA et le crédit d'impôt.

La vérité car faire reposer sur les cachets de quelques stars, au demeurant peu nombreuses, l’inflation globale du coût des films relève de l’illusion et d’une explication un peu courte. Le nombre de films qui consacrent plus d’ 1 million d’€ à leur casting a même baissé en 2011 et s’élève  à 10 (sur les 207 films français produits).

L’origine du mal

Il est toujours un peu facile – et très lâche – de livrer en pâture des noms, des gens, une profession pour justifier les dérives ou les failles d’un système. Cette dénonciation d’une profession, censée à elle-seule expliquer le coût élevé des films français, quels que soient les écarts colossaux de salaires qui peuvent exister, n’a pas de sens. Elle en a encore moins quand on sait que ces rémunérations ne sont pas issues d’un braquage réalisé par ces acteurs mais de chèques librement signés par des producteurs qui ont accepté les conditions de tournage.

Plutôt que de stigmatiser quelques personnalités, la seule question qui vaille n’a pas souvent été posée à l'exception notable du réalisateur  Michel Hazanavicius .

Elle n’en est pas moins cruciale. Pourquoi les ayants-droit, qu’ils soient acteurs, réalisateurs ou scénaristes, ont tendance à demander des minima garantis et des à-valoirs les plus importants avant le tournage ?

La réponse est d’une simplicité enfantine : ils savent, qu’à d’infimes exceptions, ils ne seront jamais associés au succès et aux recettes du film !

L’opacité des remontées de recettes

L’opacité engendrée autour des remontées de recettes, après l’exploitation en salles et hors l’exploitation en télévision qui, grâce à la gestion collective et à la SACD, garantit aux auteurs une juste rémunération, interdit tout espoir d’être intéressés aux recettes. C’est aussi un secteur entier qui a pourtant l'habitude de pleurnicher contre la piraterie , celui de l'édition vidéo, qui ne respecte pas la loi sur la rémunération proportionnelle des auteurs !

Pour mémoire, quelques éléments de l’étude menée en 2011 par la SACD sur plus de 600 contrats d’auteur cinéma trouvent aujourd’hui une résonance très actuelle : « À l’issue de l’ensemble des premières fenêtres d’exploitation (salle, vidéo, international), l’étude montre que moins de 10% des auteurs ont pu voir leur minimum garanti être couvert. Pour plus de 90% des auteurs, et même en cas de succès en salle, ils ne reçoivent aucune autre rémunération que celle de leur minimum garanti prévu au contrat initial.

Seuls quelques auteurs parviennent à négocier des rémunérations complémentaires, liées notamment au succès du film en salles (16% des contrats) et plus rarement à une vente à un télédiffuseur (9% des contrats). Près de ¾ des contrats prévoyaient une rémunération supplémentaire après l’amortissement du coût des oeuvres.

Or, en l’absence de toute transparence sur le calcul du coût des films par les producteurs, ces clauses sont restées très virtuelles : moins de 5% des oeuvres pouvaient être considérées comme amorties après dix années d’exploitation et ont donné lieu au versement effectif de la rémunération complémentaire. »

L'accord sur la transparence obtenu de haute lutte après la médiation de Roch Olivier Maistre a certes abouti au controle de quelques films tirés au sort, mais afin d'être sur qu'il n'y aurait aucune exemplarité le CNC a imposé l'anonymat des heureux élus.

Le chantier de la transparence : une urgence

Alors, oui, engager ce chantier de la transparence relève aujourd’hui d’une urgence à la fois éthique, politique et économique.  Nous avons tout à y gagner : des remontées de recette enfin connues, une assurance des ayants-droit d’être justement rémunérés ; un rééquilibrage attendu entre les minima garanti et les rémunérations proportionnelles.

Toutefois, ces avancées ne seront possibles qu’à deux conditions : des pouvoirs publics qui feront de cette exigence de transparence une réforme prioritaire du soutien au cinéma ; des partenaires professionnels, et notamment des producteurs, qui joueront pleinement le jeu de la négociation.

Ceux qui dénoncent le financement actuel du cinéma français sont souvent les mêmes qui en bénéficient et qui demandent toujours plus d’aides et moins de contraintes.

Chacun doit prendre ses responsabilités et comprendre désormais que le salut de ce financement aussi fragile que pertinent du cinéma ne nécessite pas de trouver des boucs-émissaires mais de se réunir pour en améliorer la transparence.

Transparence. Un bien joli mot pour cette année 2013.

Article publié dans le magazine des auteurs de la SACD

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Commentaires (1)

 

  1. Marie dit :

    responsabilités et comprendre

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