Essentiel vous avez dit essentiel

2 novembre 2020 par - diversité culturelle, économie numérique

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On a beau entendre que seuls les actes comptent, mais la politique est aussi affaire de symboles et la politique culturelle peut-être encore plus que les autres.

Il est certain que les images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux et  montrent ces stands de livres dans les grandes surfaces barrés d’une banderole « vente de livres et de disques interdite conformément aux mesures gouvernementales en vigueur » colleront à la peau du gouvernement comme le sparadrap au Capitaine Haddock.

Le cheminement qui a conduit à cette décision interdisant la vente physique de livres, symboles par excellence de la culture en France, est un vibrant hommage à Kafka, à moins qu’il ne s’agisse du père Ubu.

1er acte : le confinement prévoit la fermeture des librairies, générant un large mouvement d’opposition et de contestation des professionnels, d’anciens ministres de la culture, de maires et d’élus locaux préoccupés par la fermeture des petits commerces et qui, nombreux, ont écrit au Premier ministre pour obtenir des souplesses.

2 ème acte : les libraires s’aperçoivent que les points de vente de livres dans les supermarchés et à la FNAC restent ouverts .

3 ème acte : le gouvernement décide d’interdire la vente des livres dans ces points de vente, par équité et cohérence avec sa décision de fermer les librairies et le remède est pire que le mal.

Il n’y aurait pourtant eu aucun déshonneur ni mise en péril générale de la population, à revenir à  la seule décision qui avait du sens : faire prévaloir l’égalité de traitement en autorisant l’ouverture des librairies, avec des protocoles sanitaires stricts comme la très grande majorité d’entre elles l’appliquait déjà, avec un nombre limité de clients dans le magasin, le port du masque obligatoire et la mise à disposition de gel hydro-alcoolique.

Alors que les français vont pouvoir continuer à s’entasser dans les transports en commun, faute d’un recours plus large au télétravail, le risque sanitaire lié à l’ouverture des librairies peut être sérieusement interrogé.

Cette décision d’origine sanitaire a aussi un revers culturel qui prend le contre-pied de l’objectif prioritaire des gouvernements qui se sont succédé, celui d’ Edouard Philippe comme celui de Jean Castex, à savoir la défense de la souveraineté culturelle de notre pays.

La fermeture des librairies et des points de vente physique de livres fait d’ores et déjà un grand gagnant : la plateforme américaine Amazon.

Les équipes de Jeff Bezos l'homme le plus riche du monde ont dû sabler une nouvelle coupe de champagne en apprenant cette nouvelle car, même si les sites internet des librairies indépendantes restent accessibles, la force et la puissance de distribution d’Amazon et sa position dominante sur le marché de la vente à distance lui assurent de renforcer considérablement ses ventes de livres.

Alors que la ministre, Roselyne Bachelot, vient de soumettre un décret qui fera date en intégrant les grandes plateformes numériques, Netflix et Amazon, Disney , dans le financement de la création et qu’elle n’a pas ménagé sa peine pour éviter les effets déjà désastreux du couvre-feu pour la culture, le refus du Gouvernement de laisser les librairies ouvertes et la fermeture de tous les points de vente physique de livres, qui ne fera évidemment pas baisser le nombre de clients dans les grandes surfaces, sont déroutantes.

C’est d’ailleurs une sorte d’exception anti culturelle dans un paysage européen où nos voisins, la Belgique ou l’Allemagne par exemple qui ont chacun soit reconfiné soit ordonné la fermeture de commerces, ne sont pas allés jusqu’à celle des librairies.

De la même manière que le président de la République a dit ne pas vouloir opposer l’impératif sanitaire au maintien des activités économiques, il n’y a rien d’irréconciliable entre la mise en œuvre d’une politique sanitaire légitime et souhaitable pour contenir l’épidémie et le maintien d’une activité culturelle qui, au-delà des seules librairies, a aussi vu tous les théâtres, les opéras et les cinémas appliquer des règles sanitaires draconiennes et très protectrices des spectateurs. Car eux aussi ont vu de façon brutale et injuste leur porte se fermer, malgré une politique drastique exemplaire de prévention des risques et quelques jours après  les incitations du gouvernement à relancer leurs activités.

Entre la  COVID 19 et les actes terroristes de ces derniers jours, notre pays vit des temps troublés et dangereux.

Il serait malheureux d’y ajouter des choix politiques insuffisamment réfléchis et non consensuels qui pourraient durablement et profondément affecter une large part de la création et la culture en les effaçant de la vie collective.

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