L’ agilité n’est pas un vilain défaut
22 mars 2021 par Pascal Rogard - Cinéma
La profession cinématographique très éprouvée par la fermeture des salles a passé une mauvaise nuit après la calamiteuse soirée des Césars.
Inutile d'épiloguer, mieux vaut enterrer au plus vite ce navrant souvenir et l'ensevelir sous un parterre de fleurs printanières.
Notre Ministre de la culture Roselyne Bachelot a très vite perçu les dommages collatéraux sur la politique de soutien au cinéma français d'une soirée qui n'a pas échappé au regard des plus hautes autorités de l'Etat.
Avec Jérôme Seydoux nous avons voulu dans une tribune publié par "Le Monde" apporter une contribution à l'effort de modernisation de notre système règlementaire à un moment où le CNC engage une révision de la politique d'aides au cinéma. Nous nous nous sommes notamment placés sur le terrain de la chronologie des médias en cours de négociation entre toutes les parties intéressées.
Dans notre propos à la limite du timoré , rien de révolutionnaire puisque nous souhaitions simplement que chacun retrouve sa juste place en fonction du prix payé par le public pour accéder aux oeuvres et qu'en conséquence les premières diffusions payantes soient réalisées avant celles qui sont gratuites.
Je ne m'attendais donc pas à une réaction si négative de cinéastes pour lesquels j'ai non seulement de l'estime, mais aussi de la reconnaissance d'avoir créé des films dont certains m'ont procuré des émotions fortes.
Premier et étrange reproche nous aurions mélangé un sujet cinéma la "chronologie des médias" et un sujet audiovisuel concernant l'attribution du Cosip aux producteurs indépendants dont les films et séries sont diffusés par les plateformes.
De fait nous n'avons rien mélangé du tout mais simplement traité séparément deux sujets bien différents mais qui sont des exemples de l'archaïsme de certaines règles.
Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi ceux qui encensaient récemment le décret Smad et son adoption par le gouvernement le critiquent maintenant sévèrement comme si en quelques semaines l'or s'était mué en plomb.
Pour bien comprendre les enjeux économiques, je ne peux que leur conseiller la lecture du blog d'Alain Le Diberder.
La France et que notre gouvernement en soit remercié, est de très loin le pays de l'UE qui a manifesté le plus d'ambition en faveur de la création dans la transposition de la directive européenne qui permet de soumettre les opérateurs délocalisés à des obligations d'investissement sur la base du chiffre d'affaires réalisé dans le pays de consommation.
Comparer comme le font les cinéastes les niveaux d'investissement dans le cinéma d'un Smad audiovisuel comme Netflix à ceux de Canal plus chaîne du cinéma n'a aucun sens et conduit à une grave erreur d'appréciation.
Ce qui est certain c'est qu'une plateforme cinéma diffusant des films avant 12 mois à compter de la sortie en salles outre une TVA portée de 10% à 20% aurait une obligation de contribution cinéma de 20 % de son chiffre d'affaires et donc nettement supérieure à celle de la chaîne cryptée.
Réfléchir à des adaptation de la chronologie des médias, c'est la nécessité du moment et cela n'a strictement rien à voir avec une tentative de démantèlement d'un système de soutien à la création que nous pouvons tous revendiquer car il a permis contrairement à ce qui est advenu dans beaucoup d'autre Etats de développer notre tissu créatif et de disposer d'un parc de salles moderne et bien implanté sur tout le territoire.
Je doute d'ailleurs que beaucoup de créateurs aient eu la curiosité de lire le dernier accord sur la chronologie des médias que la SACD a signé pour la raison qu' il accordait à certains films ayant réalisé moins de 100000 entrées en salles une permission de sortie du carcan dans lequel sont enfermés des oeuvres de l'esprit en accordant des dérogations aux documentaires et aux films de fiction qui n'avaient pas été préachetés ou achetés par une chaîne payante.
La lecture est assommante, mais elle permet de comprendre que la chronologie des médias est devenu un système soviétique qui enserre les films dans des règles qui empêchent leur meilleure exploitation conforme à l'optimisation de leur diffusion.
Voulue par l’Union Européenne , l'élaboration de la chronologie par des accords professionnels en lieu et place des pouvoirs publics a prouvé que le génie français de la complication administrative pouvait être aisément supplanté par le corporatisme qui additionne les intérêts particuliers en oubliant l'intérêt général.
En bref ,il serait judicieux de revenir à des règles simples en se contentant de fixer le délai de la première exploitation du film sur un média donné, de prévoir conformément à la jurisprudence de la CJUE les dérogations tenant compte de la vie du film en salles de cinéma et de renoncer à soustraire à la liberté contractuelle le soin de fixer les durées d'exclusivité.
Cette simplification renforcerait la capacité des producteurs à élaborer le plan de financement le mieux adapté .Elle devrait bien sûr être surveillée par les autorités de régulation et de concurrence pour éviter des abus de positions dominantes qui gèleraient les droits d'exploitation.
Que les cinéastes soient rassurés je ne vais pas pour satisfaire les apparences de la modernité renoncer à notre combat de toujours pour l'exception culturelle.
Mais l'agilité dans le monde numérique n'est pas un vilain défaut.
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Commentaires (2)
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Je ne tirerais pas à boulets rouges contre la cérémonie des césar qui est à l’image de la situation précaire de milliers d’intermittents du spectacle vivant.Corinne Masiero a certes provoquer un vent de colère mais son intervention est courageuse parmi les acteurs de la profession qui se cachent dans leurs appartements cossus du 16ème ou du 7ème et qui pondent un long texte en demandant un taxe Jean Valjean. »Les misérables »voilà une une oeuvre à lire et relire puis voir le film qui décrit bien le malaise grandissant de nos quartiers.Quand il y a plus de communication il reste les violences que je n’approuve aucunement de la part d’une minorité d’hommes et de femmes qui on ont assez de souffrir tous les jours un peu plus.Je suis contre la dégradation de site historique tel l’arc de triomphe ou des abris bus et mème des distributeurs de banques.Tout ceci mène à rien de concret,sauf à des arrestations,des jugements et des condamnations en justice.
Avec cette triste nouvelle,j’espère que le blog initié par Bertrand survivra,car il a su nous transmettre sa passion pour le cinéma du patrimoine mais également des réalisateurs américain qui ont marqué le 20ème siècle.Sacré Bertrand il va me manquer par sa générosité,son humanisme naturel,sa fougue,sa curiosité,ses emportements,ses coups de colère et sa défense sur la nouvelle génération de cinéaste tel Brizé,Desplechin,De lapallières,assayas,Kahn,Klapish,Céline Sciamma et plein d’autres.Que la flamme continue de brillet et de nous éclairer pour l’avenir.