Le poinçonneur des lilas

5 avril 2019 par - audiovisuel

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Mettre fin à la redevance audiovisuelle : c’est la proposition choc que Gérald Darmanin a formulé auprès du Président de la République et du Premier Ministre dans le cadre du grand Débat. Raison invoquée l'injustice de ce prélèvement .A ce compte là Gérald Darmanin va devoir supprimer beaucoup d'impôts et peut -être rétablir l'ISF. Et  pourquoi cet homme si imaginatif ne propose t'il pas des mesures pour réformer la redevance ?

Avec un rendement de plus de 3,2 milliards d’€, la contribution à l’audiovisuel public est essentielle pour financer les entreprises publiques de l’audiovisuel (France Télévisions, Radio France, ARTE, INA...).

Vitale pour le service public, cette redevance est aussi aujourd’hui confrontée à deux limites importantes : son fait générateur, lié à la détention d’un écran de télévision, la rend anachronique au moment où un nombre croissant de français a accès aux services publics audiovisuels via leur ordinateur, leur smartphone ou leur tablette ; ses modalités de recouvrement aujourd’hui adossées à la taxe d’habitation qui sera prochainement totalement supprimée, posent inévitablement la question d’un moyen alternatif pour continuer à en assurer la perception.

 

L’équation n’est pas simple, mais elle mérite mieux que la proposition simpliste et, pour tout dire, populiste du  ministre du budget.

Sans même esquisser le début d’une idée pour la remplacer, sinon de budgétiser le financement de l’audiovisuel public, il s’est fait le relais de la technocratie de son ministère qui déjà en 2000, sous le Gouvernement Jospin, soufflait l’idée de cette suppression de la redevance, avant de se rabattre alors sur la vignette automobile.

On attendait mieux d’un représentant du nouveau monde que de piocher dans les vieilles recettes de Bercy !

 

Les solutions alternatives ne manquent pourtant pas. Beaucoup de rapports parlementaires ont été produits ces dernières années, alimentant la réflexion et convergeant vers une piste crédible et solide : passer d’une redevance liée à la détention d’un poste de télévision à une redevance universelle, déconnectée de la possession de tout support et payée par tous les foyers.

Elle a l’avantage de maintenir et de garantir l’affectation des ressources à l’audiovisuel public, sans laquelle l’indépendance et la pérennité des moyens du service public pourraient être mises à mal.

Elle s’inscrit dans une démarche égalitaire et ouvre la porte à une réforme socialement juste, permettant de moduler le montant de la redevance en fonction des revenus des foyers.

Elle a enfin un atout : c’est une réforme éprouvée puisqu’elle est désormais mise en place dans plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie ou la Finlande avec des moyens de perception différents : l’impôt foncier pour le premier, la facture d’électricité pour le second et enfin l’impôt sur le revenu pour le dernier.

Faire croire qu’il y aurait une fatalité à ce que la taxe d’habitation emporte la redevance dans sa disparition relève d’une politique de gribouille qui n’est pas à la hauteur des enjeux.

En ces temps qui appellent du sérieux budgétaire, c’est à un curieux tour de passe-passe auquel nous invite le ministre : on remplacerait ainsi une taxe affectée par un accroissement du déficit budgétaire de 3 milliards d’€, qui sera in fine payé par tous les français…

 

L’enjeu est toutefois bien plus que comptable : l’avenir du service public, c’est non seulement celui des entreprises publiques mais c’est aussi un enjeu démocratique en tant que tel dans une société française minée par des divisions et des oppositions nombreuses et soumise à des infox auxquels les réseaux sociaux apportent des résonances toujours plus inquiétantes. C’est aussi l’avenir de l’audiovisuel dans son ensemble qui se joue, celui des créateurs, des professionnels de la fiction, du cinéma, de l’animation et du documentaire, tant le service public occupe un rôle central pour l’information ainsi que pour le financement et la diffusion des œuvres.

Le ministre de la culture Franck Riester assurait, il y a quelques jours, au festival  Séries Mania à Lille-Hauts de France  crée à l'initiative de Martine Aubry et Xavier Bertrand, vouloir faire de l’audiovisuel public français une référence en Europe. Il a raison. Nous partageons cet élan et cette ambition.

 

Mais, plutôt que d’entendre un nouveau discours sur le courage de la réforme, il serait temps d’assumer une réforme  courageuse . Disons-le clairement, c’est le chemin inverse de celui emprunté depuis un an par le gouvernement et qui se résume pour l’heure à des suppressions :

 

  • hier, suppression annoncée de la chaîne jeunesse France 4, dramatiquement à rebours de ce que font tous les diffuseurs publics européens et qui privera une partie des jeunes français des programmes du service public dans les territoires où Internet est difficilement accessible ;

Au moment où certains veulent lui couper la tête, l’offre d’animation en linéaire de France télévisions bat des records.  En Mars 2019, France 4 a été la première chaîne nationale en « after school » pour les 4-14 ans (http://www.francetvpro.fr/corporate/communiques-de-presse/26198948) ; pendant les vacances d’hiver, 5,1 Millions d'enfants ont regardé l'offre d'animation linéaire de France Télévisions.

  • hier, suppression de France Ô ;
  • aujourd’hui, suppression envisagée de la redevance.

 

Et demain ?

Il n’est pas trop tard pour remettre l’ouvrage sur le métier ; il devient même urgent de redéfinir un projet d’avenir pour le service public audiovisuel, ses missions comme son financement, sans céder ni aux sirènes du populisme fiscal ni à ceux qui veulent détruire sans formuler aucune proposition de reconstruction.

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